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L'EAU  À  MIMET

 

        LES LAVOIRS À MIMET

 

        Il y en avait un au bas du chemin de la Megre avec une très belle source fraîche qui descendait de dessous le Géant, sur le Puech.

C’était le plus important. L’eau du Vallat entretenait des sureaux immenses et des ronciers énormes : en septembre, les mûres en étaient délicieuses.

De quoi se délecter et faire des confitures. Cézanne aurait aimé !

       

Un second lavoir se trouvait aux Écoles, sous un platane, juste au croisement avec la route. Il était doté d’une fontaine.

Un troisième était situé au nord, vers la Diote qu’on nomma, tour à tour, Diot, Dilhot, Dilhote, Dillote et Diote du XVIIe au XIXe siècle, selon la prononciation et les connaissances orthographiques des divers notaires, secrétaires ou géomètres !

Un quatrième aux Rampauds sur la droite, en contrebas vers Saint-Savournin : celui-ci est encore debout mais il est devenu habitation.

Un autre était sans doute aux Rigauds et un dernier sous la Tour vers le Moulin d’Eau.

Laver le linge était chose importante.

On sait que l’hygiène corporelle demeurait, il y a peu encore, plus que négligée.

On dit qu’à Marseille, les habitants ne prenaient qu’un bain et demi et par an ! Jean de Renou, en ses « Œuvres pharmaceutiques », disait « nunquam caput lavandum, raro pedes, saepe manus », ce qui signifie en français « il ne faut jamais se laver la tête, rarement les pieds, souvent les mains » ! Et encore pour ces dernières, en prenant de l’eau dans sa bouche afin de la réchauffer, et en la recrachant à la façon d’un filet ! Mais on changeait beaucoup les draps, les chemises et les linges intimes : il fallait donc les laver, d’où les lavoirs publics.

        On appelait l’opération, qui se répétait trois ou quatre fois par an, la « bugado » ou lessive. Cela se pratiquait encore au XIXe siècle et Cézanne, peintre, devait avoir connaissance de ces pratiques. D’ailleurs à Mimet, ces lavoirs fonctionnèrent jusque dans les années cinquante.

        Le lavoir de la Megre mis en service début XXe siècle, se composait de deux bassins, l’un pour savonner, l’autre pour rincer et les pièces traitées étaient posées sur une poutre, en hauteur, qui faisait toute la longueur de ces bassins. Sur le côté, hors du bâtiment principal, un abri sous lequel avait été installé le lavoir des contagieux, en aval de l’eau de source. Dans la bâtisse couverte de tuiles plates de Saint-Henri, la bugadière ou lessiveuse, énorme marmite pour faire bouillir de l’eau.

        Autrefois la « bugado », c’était très organisé. Elle durait près d’une semaine pour toutes les opérations : mouiller, charger le cuvier ou bugadière, couler la lessive (les cendres récupérées sous les potagers), rincer au lavoir, sécher et plier, repasser et ranger dans les armoires. On le faisait à lune vieille mais hors les fêtes religieuses, la semaine des morts et la semaine sainte. C’était très précis et réclamait un savoir-faire considérable tant dans la disposition des linges à l’intérieur de la bugadière, que dans l’usage des cendres avec coquilles d’œufs et copeaux de savon et la distribution puis récupération des eaux chargées de lessif. Encore ne mélangeait-on pas la couleur avec le blanc, ni les langes des bébés qui ne devaient pas séjourner la nuit sous peine de coliques ! Bref, un travail sérieux qui se faisait en famille.

        Le lavoir servait au rinçage et au séchage sur des cordes blanches nouées aux arbres, soutenues par des tuteurs pour que rien ne traîne à terre. L’astuce était que la lessive était étendue à l’envers, broderies à l’abri.

        Rare encore et trop cher, le savon de Marseille se démocratise au temps de Cézanne : savon « le Chat », « l’Abat-jour », « l’Abeille », « le Moulin », les marques se multiplient. Désormais, les Mimétaines apportent leurs linges et draps au lavoir pour tout y faire et au lieu d’attendre, elles lessivent au fur et à mesure. Le lavoir fonctionne souvent. Elles y ont leur caisse pour s’y agenouiller et être le moins mal possible, avec les pains de savon et le battoir, la bugadière pour chauffer, l’eau fraîche de la source pour boire. Un travail de femmes où seuls quelques enfants sont tolérés et encore les préfère-t-on à l’écart pour pouvoir bavarder à l’aise : « propos de lavoir et de fournil » disait-on ; les hommes c’était au café !

        Quand le temps des « estivants » arriva, après 1945, quelques femmes de Mimet se firent leur lavandière pour aider leur ménage. J’ai souvenir de Rosette qui fut pour moi une seconde mère : j’ai eu, ainsi, deux mères, la mienne que j’ai aimée de plus en plus, et Rosette, la lavandière courageuse, avec battoir, caisse et planche à laver. Cézanne l’aurait appréciée.

        Aujourd’hui, les planches à laver servent pour la musique, les caisses ne sont plus, les battoirs sont objet de brocante et les lavoirs ont disparu.

                                                              

        LE LAVOIR DU VILLAGE

        À Mimet, des lavoirs, sur la commune, il y en eut six, peut-être sept. Le plus important se trouvait au bas du village, au lieu-dit Fontaine de Mimet. Dès 1833, sur le premier cadastre baptisé napoléonien car voulu par Napoléon 1er, on distingue, très nettement, les bassins de pierre froide tels qu’ils existent aujourd’hui.

     Il est très probable, date inscrite en un cartouche de 1829, qu’ils furent bâtis à cette date. En même temps que l’aménagement de la source qui fut canalisée à ce moment. Alors, ils représentaient un lavoir à l’air libre : l’eau de la source transitait par eux avant de s’écouler dans le ruisseau en aval. Pour s’y rendre, c’était le Chemin de la Calade datant, lui, de la fondation du village, fin Xe, début XIe siècle : il commençait par de longues marches,  les «pas de mule», puis, sur la pente plus douce, il se constituait de pierres plates et de dalles de pierre. Tout cela a disparu lors de la pose du tout-à-l’égout, puis du goudronnage ! À l’emplacement du lavoir, ce chemin passait entre la fontaine de Mimet et les bassins, sous les réservoirs d’eau encore en place, pour remonter vers la croix de la maison du Rey.

        Ce n’est que plus tard, après 1860, qu’un bâtiment fut édifié : une toiture posée sur six piliers de pierre blonde. Il s'agissait, pour la "Société Nouvelle des Charbonnages des B.-du-Rh.", d'améliorer les conditions de vie des familles de mineurs : un paternalisme de bon aloi ! La date ne peut être antérieure à 1860 car on ne fabriqua pas les tuiles plates, à Marseille, avant cette période. C’est encore plus tard, entre les deux guerres, qu’on construisit les murs de protection contre le vent pour préserver les lavandières. Sur le côté, hors du bâtiment principal, fut établi un abri sous lequel on installa le « lavoir des contagieux », en aval de la source et hors des bassins. Il fut fourni par la mine du puits Biver : du ciment moulé sur une arcature de fers à béton, du solide !

Sur le devant, point de fermeture dans les premières  années 1900, une carte postale le prouve. Mur et porte se firent avec le reste, vers 1920-30. Au-dedans, désormais protégé, les femmes disposaient d’un foyer sur lequel trônait une marmite de fonte. C’est Josette Pastor, née Michel qui, arrivée la première le matin, allumait le feu pour tout le monde.

Alors, les femmes et les filles, les gosses, se pressaient autour de la « bugado », la lessive. Si, autrefois, on ne faisait que rincer le linge blanc, passé à la cendre de bois, à présent, on lave au savon de Marseille. Les marques « le Chat », « l’Abeille », « le Moulin », « l’Abat-jour » vantées sur une publicité peinte à l’épicerie de Gabrielle sur la Place de la Mairie, le permettent. Mais, on le fait dans le grand bassin du milieu. Les lavandières installées dans leur caisse, battent le linge puis le mettent dans le premier bassin où l’eau claire arrive : il s’y rince. Après un moment, on le dépose à cheval sur la poutre de bois où il s’égoutte ; ainsi, on peut le tordre et l’essorer plus facilement, sans le changer de place. Ensuite, dans les champs recouverts de thym et d’herbes aromatiques, on étale le tout. À midi, on le remouillait un peu. Le soir, tout était parfumé ! Il fallait veiller à ne pas exposer au soleil les broderies patiemment réalisées pour le trousseau de mariage !

        Ce lavoir servit jusque vers les années 1950. Les arts ménagers et le « projet Rigaud » qui amena « l’eau à la pile », à l’évier, vers 1957, firent qu’il devint inutile. On l’abandonna. Les tuiles servirent de cible aux gosses et la toiture ne fut, bientôt, qu’une passoire. La notion de patrimoine n’existant pas encore, vers 1980, pour des raisons de sécurité, tout fut abattu. En mai 2009, la mairie de Mimet décide de tout dégager. On vit réapparaître les bassins, la fontaine, les pierres des piliers. En 2012, durant l'été, le lavoir fut reconstruit tel que nous le voyons à présent.

      Aujourd’hui, il est une partie de notre patrimoine car témoin d’une façon de vivre oubliée. Ses fantômes sont toujours en vie et pourraient vous en parler !

                                             

      LE LAVOIR DE FONT-BELLE

      Le domaine de Font-Belle (la belle fontaine) qui s'appelait le domaine de Rey, du nom d'un important propriétaire, est répertorié sur le cadastre napoléonien en 1833 : section B, feuille 1.

      Il possède un lavoir privé, à deux bacs, avec borne fontaine et toute une installation de captage de sources, d'un bassin de rétention, le tout sous terre, et d'une conduite qui va au lavoir. Il se trouve le long du vallat de Font-belle. Il s'agit d'une installation complète.

Construit en pierre et sans toiture, avec une dalle de calcaire dressée pour séparer les deux bacs, il est ancien, sans doute du XVIIIe siècle. Aujourd'hui, ses parois ont été revêtues de ciment. On reconnaît la planche à frotter d'un côté, tourné vers l'est. Ce choix est dû à la course du soleil: les femmes au travail, l'après-midi, avaient alors le dos réchauffé par le soleil ! Ce qui n'était pas le cas le matin où elles l'avaient de face ou voilé par les arbres. De plus, cela permettait à l'eau de tiédir.

 

      LE LAVOIR DE FONT SOUTANE

      Le vallat de Font Soutane (quartier des Rampauds) alimente une source figurant sur le cadastre napoléonien de 1833 (section A, 2e feuille). Le mot "soutane" signifie en provençal inférieur ou souterrain : il s'agit sans doute d'un captage dont on a perdu l'origine. Mais, à ce moment, en 1833, il n'y a pas, semble-t-il, d'installation de lavoir, seulement un petit bassin, aménagé pour la source.

      Pourtant, aujourd'hui, on distingue deux bacs de lavoir avec planche à frotter des deux côtés, arrivée de l'eau et évacuation. Ces planches sont en pierre froide, lisse et au-dessus se trouvait la poutre en bois pour l'égouttage du linge.

Exactement comme pour le lavoir de Mimet, celui des Moulières (aujourd'hui chapelle après avoir été garage), celui de La Tour ou celui des Rampauds, au bord de la route. Ces cinq lavoirs furent mis sous abri maçonné (murs et toiture de tuiles plates) : à savoir sur six piliers en pierres ou en briques.

      Il apparaît qu'ils ont, tous les cinq, été édifiés selon le même plan, par le même maître d'oeuvre : une construction standardisée. En 1929, la mairie de Mimet de l'époque  en est à l'origine afin d'améliorer le sort et la vie des familles de mineurs : chaque lavoir, adapté, en taille, à la population desservie. Les plans sont datés de mars 1929 : 2 ou 3 bassins pour 4 ou 6 personnes. Dimensions : 7,60 m. x 5,20 m., selon les croquis d'ingénieur  mis à jour par Florian du service de l'Urbanisme. 

         Le lavoir de Font-Soutane, démonté soigneusement, a été remonté en l'état à l'entrée du village, en 2016, à l'abri d'une "grotte" où il témoigne du temps d'avant l'eau courante et la machine à laver. Il sert à présent de pendant à la réplique historique de la crèche de Notre-Dame-des-Anges. 

 

                                    

          LA DERNIÈRE SOURCE 

          La route du Passaga va vers le col Sainte-Anne d’un côté, et passe sous la glacière pour rejoindre le quartier de Saint-Joseph. Une petite bifurcation descend dans le lit du Passaga, dans le vallon même, pour se lier au chemin qui remonte, à flanc de coteau, vers Mimet. Ancien chemin muletier et caladé comme il devait en exister de très nombreux dans tout ce terroir mimétain. Au-dessus de cette voie, des bancaous, le plus souvent écroulés. En dessous, accès à des champs, aujourd’hui livrés à une nature folle, l’abandon : semblable à une ruine, des arbres morts abattus, des murets proches de l’effondrement, de part et d’autre.

          Autrefois, il y a moins de cinquante années, on entretenait des jardins d’arbres fruitiers, oliviers, amandiers, figuiers, cerisiers, des vignes…, avec des rangées  d’oignons, de pois chiches, et autres légumes. A côté du village, à l’abri, exposé au sud, on trouvait parfois des abricotiers, quelques pêchers. Quelques minutes à pied pour arriver de Mimet ou travailler au retour de champs plus lointains. En un temps où chacun respectait le bien d’autrui et où l’on s’entraidait lorsqu’un mur s’écroulait, ces exploitations réclamaient une présence et un travail humain considérable : la survie en dépendait. Ces terres étaient des Penon, Magère, Gajan, puis des Portigliati, Alègre… Gens d’anciennes familles de ce lieu ou plus récemment installés, des Marseillais, les « estivants ».

          À partir des années 1950-60, tout cela fut peu à peu abandonné : la mine aspirait la main d’œuvre et ce paysage humanisé se délita pour n’être plus qu’un fatras de branches et de caillasses.

          Pourtant, il subsiste quatre choses.

          * D’abord, le chemin qui descend de Mimet pour rejoindre celui du col Sainte-Anne, en route pour Marseille. Sous l’épaisseur des feuilles mortes et de l’humus, des empierrements : une calade grossière ? Par endroits, en biais, quelques blocs enfoncés semblent marquer des « pas de mule ». Ils facilitaient la progression en tronçonnant la pente, ils dirigeaient les eaux de pluie vers les champs, évitant les ravines. Le tout d’une belle largeur, plus de deux mètres : à présent, les effondrements des bancaous en réduisent l’importance. Et les arbres en font une sorte de chemin creux, ombragé, presque romantique.

        * Le deuxième témoin se rencontre sur la dernière terrasse. D’une part un cabanon de pierres, en murs bien appareillés, avec une fenêtre et une porte, le tout adossé à un rocher. Plus de trace d’enduit ni d’aucune boiserie. Une toiture de tuiles protégeait l’ensemble : 4 à 6 m2 de surface et une exposition au soleil. À n’en pas douter, une construction pour être habitée avec un confort très limité. À quelques pas de cet abri, un escalier permet de descendre au champ du dessous : il est fait de gros blocs qui sont autant de marches, six sans doute : très gros ouvrage disproportionné pour une simple exploitation agricole.

    * L’explication est ailleurs : un autre élément situé à moins de dix mètres vient la préciser, une source, la dernière aujourd’hui. Elle donne deux litres à la minute, à la fin de l’été, ce qui fait 2,5 mètres cubes par jour. Celle-ci semble avoir échappé au rabattage qui assèche le Massif de l’Étoile vers la fameuse « Galerie de la mer ». Les Mimétains n’en voulaient pas en 1884, à la date où ils furent consultés mais pas écoutés ! Ils savaient à peine lire, mais ils avaient deviné les risques d’une telle entreprise. Cette source doit ressurgir à la faveur d’une faille et son eau est sans doute bonne.

        Ces quatre témoins, le chemin, le cabanon, l’escalier, enfin la source doivent être mis en relation avec un cinquième : la glacière, la plus ancienne de Provence, construite de 1642 à 1646. Tout cela forme un aménagement organisé, rationnel, réfléchi. Il fallait alimenter en glace la glacière.

        Pour la fabriquer, l’eau était nécessaire, mais de l’eau de source et non de rivière, pour la pureté qu’on devait respecter. Cette eau conduite vers des bassins à gel creusés dans la terre damée, y formait une couche de 10 à 20 centimètres d’épaisseur. Le Passaga est réputé pour le froid qui y règne en hiver. La glace prenait, il suffisait de rajouter une nouvelle quantité d’eau : on obtenait 30 à 40 centimètres de glace. Il suffisait de la casser, de la transporter par blocs, et de la précipiter dans la glacière où elle était tassée avec des masses en bois. Pour commander ce travail, l’homme qui vivait dans le cabanon et y gardait l’outillage. Oeuvrant pour le « fermier » de la glace, un riche entrepreneur, on lui avait construit cet escalier qui lui permettait de circuler et de surveiller le travail des paysans, des Mimétains qui trouvaient en cette pratique un complément de revenus en plein hiver, une saison où l’on a peu de choses à faire.

        Ainsi ce lieu offre la superposition de plusieurs paysages. Vers le bas, celui d’une exploitation prospère, celle de la glace, d’un grand rapport mais profitant à de riches familles aixoises. Au-dessus, les terrains agricoles. Le tout abandonné. De nos jours, des terrains vendus et livrés à l’immobilier et la résidence. Il est regrettable que l’on ignore les autres : ils sont aussi du patrimoine.

                       

       LA ROUTE DE LA GLACE

 

       La glacière

       Fin décembre 1642, une petite révolution se prépare à Mimet. Louis XIII gouverne la France avec Richelieu et à la mort de ce dernier, avec Mazarin. Deux marchands marseillais écrivent au Roi : ils possèdent un terrain au Passaga de Mimet et veulent profiter de la nouvelle mode introduite par les reines Catherine et Marie de Médicis : boire glacé le vin alors que jusqu'ici, on le buvait très chaud ! Roubaud et Roman écrivent au Roi dont tout dépend ; la réponse est positive.

      

       Lettres patentes Roman Roubaud

"Louis par la grâce de Dieu, Roy de France et de Navarre, Comte de "Provence, Seigneur de Forcalquier et terres adjacentes, à tous ceux que ces présentes verront, salut.

"Les grandes chaleurs de l'été causant aux habitants de la ville de Marseille des incommodités très grandes et n'y ayant eu jusqu'à cet hiver "personne qui aye voulu entreprendre d'y apporter le soulagement qui se pratique dans le pays d'Italie par la conservation des neiges et glaces, pour la grande dépense qu'il convient faire à la construction de certains lieux propres à conserver toute l'année lesdites glaces et neiges, et nous ayant exposé ce jour les nommés Pierre Roman et Louis Roubaud, marchands de  ladite ville de Marseille, que si nous voulions à eux seuls accorder, pour un certain temps, la permission de construire des glacières, ils en introduiraient à perpétuité l'usage dans la ville de Marseille et son territoire.

"A ces causes, de l'avis de notre Conseil, de notre certaine science pleine puissance et autorité royale, nous avons permis et accordé, permettons et accordons auxdits Pierre Roman et Louis Roubaud le pouvoir de construire le nombre de glacières que bon luy semblera dans la ville de Marseille et son territoire. Et pendant ce temps de dix années, avec pouvoir de débiter ladite glace et neige.

"Faisant très expresse inhibition et défense à toutes sortes de personnes de construire aucune glacière pour y vendre et débiter la glace pendant le temps de dix années, à peine de 2000 Livres d'amende applicable [= "destiné à] auxdits Roman et Roubaud.

"Pourvu toutefois que le contenu ci-dessus ne préjudicie pas à l'intérêt public, et n'empêche les particuliers de construire des glacières pour leur usage particulier.

"Si [ici] donnons mandement au Lieutenant et Sénéchal de ladite ville de Marseille et autres justiciers qu'il appartiendra de tenir la main à l'exécution des présentes et faire jouir lesdits Roman et Roubaud pleinement et paisiblement du contenu en icelles nonobstant opposition ou appellation quelconque. Si aucune intervienne, Nous avons réservé à notre Conseil la connaissance d'icelle et voulu interdire et défendre à tous autres juges.

"Mandons au Premier notre Huissier ou Sergent faire pour l'exécution d'icelles tous exploits nécessaires.

       "Car tel est notre bon plaisir.

"En conséquence de quoi, nous avons fait mettre notre Scel à cesdites présentes.

"Donné à Saint-Germain en Laye, le dernier jour de décembre, l'an de grâce 1642 et de notre Règne le trente troisième

"Signé : Louis, et sur le repli par le Roy, Comte de Provence, "Philibeaux secrétaire"  

               (recueilli par Casals et Moussion)    A.D. B 3356 Folio 306

       Aussitôt, on creuse un puits : 7 mètres de diamètre, sur 12 de profondeur. Ensuite, il faut bâtir les murs. Enfin, il faut édifier ce qui sort de terre : la "cape de four". Une voûte de pierre est formée, soutenant sable et terre pour l'isolation. Le tout lié au mortier de chaux. Il reste à entuiler, sans oublier un crochet de fer où accrocher une poulie. En bas, des rigoles recueilleront les eaux de fonte et les conduiront au dehors. La glacière est prête avec son ouverture à l'ouest, au vent de la montagne.

       Cette glacière, la première de Provence, est un prototype.

      

        La mise en route en 1646

        "Pierre Roman, Jacques Reboul, Pierre Bourgarel le fils, marchands de cette ville de Marseille, lesquels de leur gré moyennant leur foi, et serment qu'ils ont présentement prêté des mains de moi notaire en touchant les Ecritures ont dit et déclaré.

"La vérité être telle savoir lesdits Roman et Reboul qu'il y a une glacière dans le bien dudit Reboul situé au terroir de Mimet laquelle iceux ont fait faire par commis, environ l'année 1646 et qu'il est encore en état..."

       (cité par Casals et Moussion)    A.C. Me Laure  B.B. 107  page 27

 

       Ainsi témoignent Roman et Reboul (qui a remplacé Roubaud) chez le notaire, une fois les travaux achevés. Après avoir déposé requête au Parlement de Provence, le travail peut commencer !

       Pour faire de la glace, il faut de l'eau : au pied de la colline de Mimet, il y a une source, elle coule toute l'année encore aujourd'hui. Autrefois, son débit était plus fort et elle ne se perdait pas dans la terre. On l'amenait vers un bassin de congélation (environ 10m. x 10m.). Chaque jour d'hiver, on l'emplissait sur 10cm. de profondeur et la nuit, on laissait le gel se faire : l'eau se prenait en glace.

       On brisait la couche et on montait sur la colline pour emplir la glacière où l'on précipitait les morceaux. En bas, des hommes les répartissaient et les battaient avec de gros maillets pour qu'il ne reste pas d'air. Pour colmater les creux, on versait de l'eau qui gelait. Et ainsi, chaque jour. Cet ouvrage durait un mois environ. Il était réalisé par les Mimétains : un chemin descend du village jusqu'à la glacière pour ce travail hivernal. Dans la glacière, la glace était isolée des parois par de l'herbe.

       Une fois empli, le bâtiment était fermé soigneusement pour conserver les 300m3 contenus jusqu'à l'été suivant.

       Le chemin de la Débite

       Dès juin, les chaleurs venues, on prélevait de la glace. En fin de nuit, les Mimétains extrayaient la marchandise pour en charger les bâts des mulets qui viennent d'Allauch : chacun peut porter deux quintaux de l'époque (1 quintal=40kg), peut-être un peu plus. La caravane de dix à quinze bêtes montait vers le col Sainte-Anne, passait sous Notre-Dame-des-Anges et continuait, en suivant le chemin des Oratoires qui venaient d'être construits par les Oratoriens, jusqu'à la Débite, sur la route prise par les pèlerins, à peu de choses près. On peut supposer que ce chemin vicinal n° 4 dit "Le Canal", constituait la route de la glace vers Marseille. À l'entrée du vallon, un oratoire, encore intact, signalait le point de vente : un ensemble de bâtiments, aujourd'hui en ruines. Des entrepôts de conservation et des "stands" de vente, avec  comptoir en pierre et rabattant en bois, formaient un ensemble organisé, après 6 à 8 km. de parcours. 

       La vente

       Le prix restait variable : de 6 deniers la livre à deux sous. C'est-à-dire, la livre pesant alors 400 grammes, de 1/2 sou (12 deniers faisant un sou) à deux : de 1 à 4 en proportion, selon les quantités disponibles. Un hiver doux entraînait la rareté, donc la cherté, de la glace. Mais la demande restait toujours forte.

       Aussi, en cas de pénurie, les disputes, les injures et menaces se multipliaient à la Débite, entre majordomes des maisons nobles et bourgeoises, ou tenanciers de cabarets du port ! La gendarmerie de l'époque notait ces débordements et rixes !

       L'usage de la glace

       Il était triple : le premier pour les hôpitaux. Le deuxième, pour rafraîchir les vins, eaux parfumées, limonades et boissons diverses. Le troisième pour la confection des sorbets à partir de jus de fruits et de sucre et obtenus dans des sorbetières manuelles. On en consommera dans les bastides, les hôtels d'Aix ou de Marseille, les établissements où le café fait son entrée aux XVIIe et XVIIIe siècles.

       Mimet et sa glacière

       Exploitée par Roman et Reboul, elle passera au seigneur de Mimet et d'autres négociants. À la Révolution, elle ne sert plus et n'apparaît plus, ni dans les délibérations municipales, ni chez le ci-devant seigneur !

            En 1994, une première restauration.

       En 2015, après des années d'études, une restauration totale menée par la mairie de Mimet : il fallut vider les pierres, "bordilles", terre sur 4 à 5 mètres d'épaisseur, reprendre la toiture de la "cape de four", la maçonnerie et aménager les abords. Le tout, avec l'aide financière du Conseil Général.

       Elle est, aujourd'hui, l'un des fleurons du patrimoine mimétain, à la disposition du public (journée du Patrimoine, écoles, curieux, excursionnistes, visiteurs...).

 

       Elle reste un prototype (première glacière de Provence) et a retrouvé son allure de 1646. 

       En Provence, la commune de Mimet est la seule à posséder et offrir un ensemble aussi cohérent : de la source au bassin de congélation, à la glacière et, par la route de la glace jusqu'au lieu de vente, la Débite.

 

                                                                    

           L’EAU À MIMET

           Une très vieille affaire. On dit l’eau des Mimétains venue d’une source située en contrebas, à 260 mètres de distance, ce qui faisait 520 mètres pour un aller-retour : on revenait à plein ! Nul besoin d’inciter à l’économie de l’eau en ce temps. Il est probable que cette source correspondait à celle dite "la source de Mimet" ou lavoir, au bas du chemin de la Megre. Pour les difficultés du transport, la communauté s’offrit les services d’un « devin d’eau » venu d’Auriol en 1777 : vains efforts. On recommence et cette fois, on trouve. Source trop lointaine, sous le Géant, nommée aussi Bau de Roman, ou pas assez généreuse, elle ne donne pas lieu à un aménagement profitable. Cependant l’endroit reçoit un nom : « Coulet de la fontaine Saint-Sébastien » dès 1791. Il devait s’agir d’un suintement appréciable tel celui de « Manjaïre » juste au col de la Basse vers Saint-Savournin. Sources connues parfois depuis la préhistoire, aujourd’hui perdues, sèches, mortes, tuées par la « galerie de la mer » au fond de la mine et par les dérèglements climatiques actuels.

          Il restait aussi aux Mimétains les citernes : quelques maisons en ont encore. Elles n’étaient pas grosses, 6 à 10 m3. Mais les orages de l’été les réalimentaient au fur et à mesure. Elles étaient construites avec soin, elles devaient être étanches et ne pas se corrompre : du charbon de bois suffisait à les purifier. L’eau du ciel, alors, n’était pas polluée. À tout le moins, elles permettaient le nettoyage de la vaisselle, du ménage, des rares toilettes, abreuver le bétail, un peu d’arrosage, de la cuisine…

          Vaille que vaille, les Mimétains vécurent de la sorte jusqu’en 1865 : date mémorable pour notre village. Alors, on réussit à capter une source au-dessus de Mimet, vers le Collet de Lafont. L’eau arrivait cette fois « par gravité » comme disait dans « Manon des Sources » l’ingénieur de « l’argilocalcaire » ! Aussi lui construisit-on la belle fontaine de la Place : conque en pierre froide, lion en fonte, robinet, les fers pour mettre la cruche, deux pilastres encadrant un fronton, le tout appuyé à des plis de roches calcaires que les géologues de la Faculté de Marseille venaient admirer autrefois.

           Ce que l’on sait peu à Mimet, c’est qu’à l’arrière de cette fontaine, sous l’ancien presbytère, a été aménagé un réservoir de 5 m. x 5 m., soit, pour 2 mètres de hauteur, une cinquantaine de mètres cubes. En réalité, ce bassin occupa une partie d'une salle voûtée (20 mètres de long sur 5m. de larg; deux graffitis peuvent dater cette réalisation : "1874 Augustin", l'autre de janvier 1920. Le premier pourrait indiquer une intervention pour fuite, le second un aménagement électrique.

          Ce bassin est donc antérieur à 1874 et a dû être aménagé pour alimenter les fontaines de Mimet et d'abord celle de la Place, inaugurée en 1865. Aujourd'hui, suite aux travaux de la mairie (2014-2015). Il est accessible et on le visite. Il est voisin d'une très belle cave à vin aux carreaux vernissés.

          Sa contenance représentait une bien modeste d'eau potable pour le village. Petite citerne alimentée par cette source sans doute mais aussi par le « bélier à soupape fractionnaire », machine hydraulique mystérieuse à la technologie révolutionnaire : le fait est qu’en 1888 c’est réalisé. Mais ça ne marche pas bien ! Cette fois l’eau venait d’en bas, d’en haut. Alors, au XXe siècle, on lui fit un moulin à vent métallique, en somme une éolienne, pour l’aider à franchir le dénivelé (50 à 60 mètres). On établit un réseau de fontaines, à savoir : une près de chez Simone Samat et Gaston Romanet, sculpteur à l’opinel. Une autre près des vespasiennes devenues célèbres grâce à Fernandel dans « le Boulanger de Valorgue », une troisième en haut des escaliers qui joignent la rue Mistral et la rue Basse. La quatrième se trouvait dans le contrebas de Mimet près de chez Julien Dalmasso. La sagesse des édiles mimétains fit que chacun avait moins de 50 mètres à faire de sa maison à la fontaine, et en terrain à peu près plat. Bien sûr, on se plaignit encore ! Sans oublier la fontaine de la Place et la pompe devant le presbytère, pompe qui se désamorçait et qu’il fallait remettre en route en lui apportant de l’eau ! Malgré les pompes électriques qui remplacèrent le bélier et l’éolienne, quand il n’y avait plus rien à pomper, les fontaines, même celle de la Place, ne donnaient plus rien : en particulier l’été, au moment des « estivants » et des « Marseillais ».

          Alors, il restait la source du Lavoir, après la Megre, les citernes pour ceux qui avaient su les garder. Comme dans « Jean de Florette », la noria des porteurs d’eau, munis de brocs et d’arrosoirs se remettait en place, ainsi qu’avant 1865.

          Ce n’est qu’en 1957 que l’eau du Verdon, grâce au « Projet Rigaud » et à l’habileté du maire d’alors, Monsieur Achille Magère, arriva à la pile, c’est-à-dire à l’évier. L’éolienne, tordue et rouillée,  tomba, le bélier fut oublié, les bornes disparurent sauf celle de la Place et la citerne sécha.

          L’eau courante à Mimet, semble-t-il inépuisable, rendit possible le tout-à-l’égout : finies les discrètes cohortes, au petit matin, des porteuses de tinette vers les latrines publiques, finis les engrais naturels pour tomates, poivrons et pois chiches. Comme par magie, l’eau abondante disparut du paysage public.

          On oublia qu’elle est, avec l’air et la terre, notre bien le plus précieux.                                                                       

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