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LE VILLAGE  DE  MIMET

        A l’entrée, il y a une aire à battre le blé avec sa pierre et son rouleau, en face une chapelle, on me l’a dite de Saint Sébastien avec une croix et une sente défoncée qui conduit au village voisin. Le plus curieux, ce sont ces restanques qui vont jusqu’à un « baou » qu’on dit ici être « le Géant couché avec ses chiens à ses pieds » ! Tout est cultivé et j’ai compris pour les pois chiches : j’en ai vu à sécher ici ou là. En haut, vers le sommet du Puech, tu entends les cognées des bûcherons : c’est une forêt qui rapporte. Il faut dire que les Mimétains ne sont pas riches, ils tirent tout ce qu’ils peuvent de leur terre et ils le font bien puisqu’ils ont construit ce paysage. Pour moi, une campagne agréable à voir l’est par le beau travail de ceux qui y vivent.

 

          Personne à Mimet n’a voulu se hausser du col, on a fait avec ce qu’on avait : les maisons sont de calcaire bleu, cassant, une humble pierre. Ils la gardent telle quelle, sans crépis, seulement jointoyée : la lumière joue là-dedans que c’en est une merveille. Une génoise par-ci et les tuiles aux reflets multiples qui profitent du soleil par-là. Il y a des gens qui m’observent, des gosses pieds nus, dépenaillés, mais j’ai vu en bas qu’ils ont une école toute neuve avec un lavoir et une fontaine au bord de la petite route à peine empierrée. Et sur la place, tu as des acacias : ils ne sont pas bien gros parce que le rocher est présent partout, peu de terre sur ce piton, et parfois tu le vois au pied des maisons, retaillé pour s’asseoir. Ils doivent aimer ça, s’asseoir parce que les bancs, il y en a près de chaque entrée ! Parfois en plus, il reste une chaise oubliée depuis la dernière conversation d’hier, à la fraîcheur. Voilà, il y a une fontaine avec des fers forgés, un robinet et des femmes qui attendent leur tour pour emplir leur jarre à eau. Elles ne sont pas pressées, elles bavardent sous leur fichu avec leur robe sombre jusque par terre.

          Comme j’ai soif, je vais m’installer au restaurant qui se trouve à côté de la mairie, à l’ombre des acacias du coin. J’ai de quoi : une carafe de vin, des pois chiches en salade avec oignon, une terrine de gibier, une omelette aux herbes et une bonne part de civet au sang. Et tout vient d’ici ! Je me régale. J’emporterai de la terrine à Gardanne. J’ai vu qu’il y a une patache qui monte de Gardanne mais je préfère marcher.

          Tu sais comme je suis, avant de peindre, je fais le tour du propriétaire. Juste après manger, j’ai pris une rue pleine de mistral, étroite, avec des escaliers qui dépassent et un parterre en calade. Au moins eux, ne sont pas près d’y mettre des trottoirs comme à Aix et c’est tant mieux ! Elle débouche sur une rue plus basse avec des petites maisons : ils ne sont pas riches dans le coin, au bout de cette rue, tu plonges dans la colline. Et de l’autre côté, tu vas au « Barri », m’a-t-on dit, ce qui veut dire en provençal, le rempart. De là, tu touches Sainte-Victoire ! Un jaillissement de lumière figée.

           Ce village est fait en escargot, la rue unique où courent partout des poules caquetantes s’enroule et monte à l’église : elle est toute simple mais renferme la plus ancienne crèche de Provence, une belle grille d’autel, un pavement de marbre noir et blanc… Dehors, c’est le château, enfin ce qu’il en reste, beaucoup de ruines : elles m’ont plu. Tu vois, les puissants seigneurs qui avaient construit cette forteresse n’ont rien pu faire. Ce sont les petites gens qui l’ont emporté : leur patience a été plus forte que leur faiblesse, ils ont enroulé leurs maisons autour d’un noyau dur et vide. D’en haut, tu as une vue superbe vers le Ventoux, l’Etang de Berre, vers Aix caché dans son repli de colline…

          C’est un village de pierres, c’est minéral, on dirait un nid d’abeilles. De loin, je le dis maintenant, Mimet couronne un relief nu, il n’y a pas d’arbre, leur bétail a tout mangé aux abords des maisons. Je reviendrai peindre ici.

                        Ton ami Cézanne. Le 18 septembre 1885 »

         

          Depuis, les routes se sont élargies, on les a goudronnées, les maisons ont reçu du crépi, elles se sont multipliées, avec des lotissements, la forêt a poussé partout : sur la colline de Mimet, dans les restanques autrefois cultivées. En réalité, cette forêt n’a pas cinquante ans ! Les lignes de haute tension ont poussé plus haut que les arbres, plus haut que les rochers. On a construit le Cercle. Il y a des pompiers, un terrain de football… Bref, c’est le progrès.

          Cézanne qui n’aimait pas les trottoirs d’Aix serait surpris s’il revenait. Car il est venu, c’est ce que tout le monde ignore !                                                                                                                                                                       

                                                                                                                                                                                  Duplessy Bernard  

 

 MIMET AU TEMPS DE CÉZANNE

 

       « J’ai toujours aimé marcher. Alors, me voici en chemin à travers les pinèdes qui entourent Gardanne. Depuis chez mon amie, je voyais au loin, dans l’Etoile, un village. Elle me renseigna : c’était Mimet, « un pays où l’on mange des pois chiches » me précisa-t-elle, un peu narquoise. Après trois heures, j’y suis.

        A vrai dire, je suis allé un peu plus loin. Un paysan m’a indiqué un lieu-dit, la Prunière. Et voilà, mon cher, c’est une merveille, c’est beau comme un décor. Ici, c’est un pays de collines découpées en terrasses cultivées : il y a du blé partout devant moi, avec des amandiers, des figuiers et de la vigne. Ils font une piquette savoureuse, à la fois aigrelette et sucrée, à boire dans l’année. Et il y a le village allongé sur un piton rocheux, dans le midi quand les ombres sont courtes, on dirait un jeu de cubes en désordre, étiré avec son clocher qui aspire tout vers le ciel. Le plus beau, mon cher, d’un côté, au levant, tu as la montagne, et au fond la Sainte-Victoire, ma Sainte-Victoire de face tel un mur festonné qui renvoie la lumière et creuse le village. Et par-dessus, un ciel de turquoise lavé de mistral. Pour seul bruit, j’ai des sonnailles de chèvres et des bêlements de moutons.

        Voilà, je suis revenu par ce sentier de la Prunière, en passant sous les chênes. Nulle habitation aux alentours, seulement des champs et des gens qui s’activent aux vendanges. 

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